Différents types de flux géographie

Introduction

1La cartographie de flux, qu’elle soit appréhendée comme un processus ou comme un objet représentant des échanges ou des mouvements projetés sur une carte, présente une complexité apparente qui est souvent évoquée pour expliquer les difficultés de sa mise en œuvre. Ces difficultés sont d’ailleurs généralement attribuées, à tort, au maniement d’un outil, ce qui est logique : à l’ère de la saillance visuelle, les efforts sont concentrés sur ou intéressent davantage les volets techniques de la construction cartographique, moins les aspects méthodologiques ou thématiques qui, pourtant, ne sont pas en reste.

2Rappelons aussi que si la cartographie de flux apparaît laborieuse c’est souvent en raison du caractère bi-localisé de l’information qui soulève des problèmes d’ordres méthodologiques, des contraintes techniques et des pratiques qui tiennent aux spécificités de la manipulation d’une information pouvant être complexe, voire massive. Ces difficultés, bien que non négligeables, se voient renforcées lorsque des considérations thématiques entrent en jeu : certains sujets étant, en effet, plus difficiles à manipuler (dans tous les sens du terme) que d’autres, et cela indépendamment du choix de l’outil ou d’une méthode. S’ajoutent à cela les questions spécifiques à l’échelle géographique d’observation. C’est le cas de la mise en cartes de la mondialisation par des flux symbolisant des échanges internationaux qui captent, à eux seuls, une bonne partie des contraintes de la cartographie de flux.

3La mondialisation des échanges participe, en effet, de ces sujets difficiles à appréhender, a fortiori à (se) représenter graphiquement, pour des raisons qui tiennent d’abord à la multiplicité de ses formes d’expression. L’objectif n’étant pas de lister toutes les difficultés qui s’opposent à une représentation aisée du monde dans sa globalité, nous allons restreindre notre propos aux échanges économiques commerciaux internationaux et mondiaux. Cette restriction est justifiée par une raison thématique.

4En effet, si nous avons pu montrer (Bahoken, Grasland et al., 2016) que la construction cartographique de flux était invariante du thème, il importe de noter que celle-ci seule ne fait pas la carte. Les tenants de la cartographie critique ont pu expliquer que la carte n’était pas seulement la traduction des formes terrestres ou de l’occupation spatiale par des sociétés. Elle véhicule également une image mentale des territoires qu’elle symbolise, une image intentionnellement chargée de sens, empreinte de valeurs et du contexte sociopolitique de sa fabrication. Des éléments complémentaires, liés au traitement des données et à leur symbolisation graphique (relatifs à la sémiologie cartographique : formes, couleurs, textes…) avec les technologies du moment, participent aussi de la fonction d’info-communication de la carte, sur un sujet donné. « Les étapes pour faire une carte – sélection, omission, simplification, classification, la création de hiérarchies et la “symbolisation” – sont toutes intrinsèquement rhétoriques » (Harley, 1989) cité par (Gould, Bailly, 2005). Elles contribuent à la rhétorique d’ensemble et sont nécessaires pour accompagner la transmission d’un message, si possible monosémique, à destination d’un public donné.

5Pour ces raisons, la cartographie d’échanges commerciaux, migratoires, diplomatiques ou financiers, par exemple, ne devrait pas être réalisée de la même manière. D’une part, parce que leurs images ne sont pas neutres et, d’autre part, en raison des enjeux politicogéographiques, économiques et stratégiques sous-jacents que la mise en carte de tels phénomènes véhicule. Comme a pu le rappeler Harley (ibid.), les cartes traduisent toujours l’intention d’un ou d’une cartographe de donner à voir une partie de la réalité, elles participent, de fait, à la construction d’un savoir ciblé que les choix méthodologiques et leur ancrage théorique vont venir soutenir. L’une des fonctions essentielles de la carte thématique, celle de communiquer une information, est rendue plus complexe dans le cas de flux mondiaux, en raison de la nature relationnelle des données (de leur caractère bilocalisé ou de leur structure dyadique), du niveau d’observation, ainsi que de la thématique.

6Nous allons ainsi mobiliser des échanges commerciaux internationaux, dans l’objectif de les visualiser sous la forme d’une carte thématique au niveau Monde.

  • 1 Les questions relatives à la construction (carto)graphique du flux, de même que celles liées à la r (...)

L’attention est attirée sur le fait que cet article1 n’intéresse que les aspects théoriques et méthodologiques de la cartographie de flux, l’objectif étant de montrer leur rôle différencié en fonction de la thématique d’une carte (flux commerciaux, flux migratoires, flux financiers, …) au niveau mondial. Le présent article porte ainsi sur la distance cartographique perçue dans la représentation de flux/mouvements commerciaux mondiaux. Il prend l’exemple de flux maritimes d’origine asiatique.

7Nous allons supposer qu’en réponse à une demande sociale d’information, cette carte devrait illustrer l’hypothèse selon laquelle de grandes régions économiques structurent un système-monde (Grataloup-Fumey, 2014). Aussi, décrire un système hiérarchisé autour de places centrales qui présentent une aire d’influence prenant la forme de régions englobant des places qui échangent entre elles. Le niveau d’analyse étant le Monde, notre approche va tenter de prendre en compte les spécificités liées à ce niveau appréhendé tel un territoire formant un tout, comme le suggère C. Didelon (2013). Il s’agit alors d’observer l’expression cartographique d’échanges commerciaux mondiaux, dans la lignée des Area studies (Marei, 2018).

8La carte dont il est question va s’inscrire dans un raisonnement fondé sur une logique de flux ou de mouvement (Bahoken, 2016), ce qui se traduit, sur le plan graphique, par un système de flèches, ou de bandes, dont les largeurs sont équivalentes aux quantités déplacées, et dont on considèrera, ou non, la trajectoire en fonction des données disponibles. L’exercice est rendu difficile, car ce territoire Monde présente des caractéristiques qui impactent fortement la fabrique cartographique : elles conduisent à des images de la mondialisation par des flux d’apparences diverses, mais fondamentalement différentes.

9Les motifs cartographiques d’une représentation de flux mondialisés sont présentés, dans un premier temps, en mettant en avant le rôle joué par l’espace via la « distance cartographique perçue » sur la carte. La non-prise en compte de la géographie dans la représentation (carto)graphique de flux fait l’objet d’une seconde section. L’hypothèse d’une déformation de l’information, qui en découle, est enfin examinée lors d’un exercice de « multireprésentation cartographique » (Zanin et Lambert, 2012) appliqué à la représentation de flux et mouvements maritimes mondiaux.

Motifs perçus d’une cartographie de la mondialisation par des flux

10La mondialisation évoque généralement une sorte d’uniformisation des sociétés qui résulterait d’une augmentation des échanges économiques sur un monde supposé « plat ». Cette vision économico-centrée du fonctionnement du système mondial est très réductrice ; elle est d’ailleurs contestée par un certain nombre d’auteurs parmi lesquels des géographes qui montrent combien ce processus est complexe, historiquement long et multiforme.

Cartographier la mondialisation

11La définition du terme de mondialisation versus celui de globalisation, par exemple, n’est visiblement pas aisée. Elle a entraîné de nombreuses discussions qui traduisent la complexité des phénomènes en jeux. L. Carroué, notamment, a montré la variété des processus à l’œuvre justifiant la nécessité d’un traitement interdisciplinaire ; une variété que nous étendons à la multiplicité des représentations à mobiliser pour traduire l’imbrication de différentes visions. L’auteur affirme que « […] la mondialisation, dans sa dimension spatiale, se réduit trop souvent dans la littérature existante soit à une pure abstraction, soit à une négation pure et simple des différenciations territoriales qui constituent pourtant des enjeux essentiels » (Carroué, 2012, p. 8).

12La mondialisation, au sens de mise en réseau du monde, s’est pourtant développée au cours du temps, en lien avec le développement des possibilités de déplacement. L’avènement de modes de transport, depuis la révolution industrielle, ont effectivement conduit, chacun à leur époque, à l’émergence puis à l’accélération des échanges internationaux à l’échelle mondiale. Ce développement de moyens de transport s’est naturellement accompagné d’une production cartographique spécifique dès le début du XXe siècle ; la représentation du Monde pour lui-même étant plus ancienne. C. Grataloup et G. Fumey indiquent que la représentation du monde a même anticipé son existence en tant qu’objet d’étude. Ce serait donc la carte qui aurait fait ce territoire Monde au cours du temps, grâce à l’ingéniosité de cartographes géographes depuis le XVIe siècle.

13Supposer que cette hypothèse soit exacte, c’est induire que l’image proposée considère a minima les spécificités du niveau Monde représenté. Par conséquent, que la construction de la carte qui fait le territoire ainsi représenté ou dont elle révèle les phénomènes qui s’y exercent, intègre également ces spécificités, à savoir les différents enjeux liés au type de représentation qu’elle propose à une échelle donnée.

14C’est pourquoi, outre à la représentation cartographique des échanges proprement dite, nous allons nous intéresser à une question éminemment géographique : la zone d’expression des échanges commerciaux à représenter en tant que variable de la représentation. Cela signifie que l’information géographique qui va servir de support à la cartographie va être importante au point de devoir faire l’objet d’un arbitrage au regard de la thématique. L’hypothèse sous-jacente tenant dans la variation du motif des flux perçus sur la carte en fonction de la manière dont l’espace est considéré dans le processus cartographique.

  • 2 On peut, par exemple citer, « l’effet spaghetti » qui impose de filtrer ou de réduire l’information (...)

15Différents enjeux2 sont manifestes dans les cartographies de flux, en général, et dans celles réalisées au niveau mondial, en particulier. Parmi les enjeux liés à l’espace géographique concerné, l’un d’entre eux porte sur la modélisation graphique du flux sous la forme d’une ligne, un signe introduit par E. Halley en 1701 pour cartographier des mouvements physiques. Les motifs de ces lignes traduisent des variations locales, mais aussi régionales qui révèlent des courants plus ou moins forts et d’orientations variées. Ces mouvements marins s’exprimant sur des espaces plus ou moins grands, les lignes parcourent des distances que l’on perçoit sur la carte plus ou moins longues. Aujourd’hui, ces lignes sont mobilisées pour cartographier des phénomènes socioéconomiques ou environnementaux observés dans l’espace géographique.

16Le fait est que les motifs cartographiques de flux qui relient des territoires prennent la forme de lignes pour symboliser des déplacements variés : des transferts, des échanges, des mouvements, des circulations ou encore des parcours. Or, toute ligne dessinée sur une carte présuppose que l’information ainsi représentée est située là où elle est cartographiée. En introduisant l’espace comme variable, nous souhaitons donc montrer qu’avec la cartographie des flux, il n’en est pas toujours le cas, en raison du rôle joué par la géographie des lieux — caractéristique de leur séparation.

17Ce rôle est d’autant plus important que les échanges s’expriment à longue distance. En effet, dans le cas de flux mondialisés, la zone d’expression des échanges est, en outre, sujette à l’alternance Terres/Mers du globe, une spécificité de la représentation de certaines relations mondialisées qui, si elle n’est pas considérée, va induire la manifestation de différents effets cartographiques qui vont générer des images impossibles du monde. Ainsi avions-nous déjà pu identifier « l’effet d’alignement » et « l’effet d’itinéraire » (Bahoken, 2016) auxquels nous ajoutons « l’effet de jointure ».

Effet d’alignement topologique des lieux (ou effet de position) : problème général se rapportant à la position relative des lieux, les uns par rapport aux autres, interdisant la discrimination visuelle de certains flux. Il dépend de l’échelle d’observation du phénomène. À l’échelle mondiale, cet effet de position se traduit par l’alignement (horizontal ou vertical) des lieux, générant un système de flèches respectivement horizontales et verticales qui empêche la perception claire des flux. Il est particulièrement visible sur les cartes mondiales réalisées sur un planisphère selon une projection Mercator ou Mollweide. À l’échelle locale, cet effet de position se traduit par un effet d’échelle lié à la proximité trop importante des couples de lieux entre lesquels, en vertu de la première loi de la géographie de W. Tobler (1969), l’intensité des flux est maximale (Bahoken, 2016, p. 441).

Effet d’itinéraire : spécifique à l’échelle mondiale, il résulte de la répartition mondiale Terres/Mers qui implique de prendre en compte le mode de transport dans la cartographie de certains flux. Par exemple, les flux internationaux de marchandises sont soumis à cet effet dans la mesure où ils sont transportés par voie maritime, ce qui implique que leur tracé des flux contourne les masses continentales. Cet effet est inexistant pour les cartes de mouvements mondiaux qui représentent les trajectoires empruntées par les individus mobiles et pour certaines cartes de flux réalisées à l’échelle locale. (Bahoken, 2016, p. 441-442).

Effet de jointure : spécifique au choix du système de projection cartographique retenu à l’échelle mondiale, il assure (ou non) la représentation de la continuité spatiale/territoriale. Sa manifestation sur une carte de flux entraîne l’interruption des déplacements réalisés à longue, voire très longue distance, suggérant alors abusivement une interruption du transport.

18Examiner ces effets apparaît « […] loin d’être dénué[e] de sens au regard de la carte du globe [qui est] structurée par de grands bassins maritimes [… décrivant] une géographie régionale relationnelle sortant du champ des travaux régionaux à tendance monographique » (Marei, 2018) focalisés sur les terres.

19La thématique des flux n’étant pas en reste, la carte que nous allons examiner va être centrée sur les mers et fondée sur une approche relationnelle pondérée par le rôle de l’espace, et non sur une vision choroplèthe de la mondialisation qui « […] contredit la dynamique géographique qu’est la mondialisation contemporaine » (Grataloup, 2011).

20Ces particularités de la thématique, associées au niveau d’observation mondial, imposent que l’on considère au préalable la notion de « distance cartographique perçue » dans la fabrique cartographique de flux, définie comme suit en première instance.

Distance cartographique : forme perçue sur la carte de la mesure de la longueur d’un Lien (ou d’une Bande), notée (Lij) et exprimée en millimètres (sur le papier). Forme de distance graphique correspondant à la retranscription de la distance géographique, moyennant le rapport d’échelle permettant le passage entre la sphère et le plan (Bahoken, 2016 : 441).

21Nous mobilisons ici l’espace au sens mathématique dans son acception géographique. C’est un ensemble de lieux dont les positions relatives les unes par rapport aux autres sont absolues dans une projection cartographique, mais elles sont variables d’une projection à une autre, d’un espace (géographique, cognitif…) à un autre. L’espacement des positions définit l’éloignement géographique des lieux, la distance qu’il convient de parcourir pour rejoindre un lieu de destination (D) depuis un lieu d’origine (O), que l’on représente graphiquement formellement par une ligne.

22La construction cartographique du flux OD s’appuie, par conséquent, sur cette ligne ; elle mobilise a minima ses dimensions de longueur, et celle de largeur. Cette action sur la géométrie de la ligne conduit à la perception d’une surface visuelle allongée, ou d’une ligne pondérée, c’est-à-dire d’une surface géométrique linéaire qui, parce qu’elle est projetée sur un fond de carte et étendue entre les OD, va donner à voir une distance cartographique. Le fait que les positions des OD puissent varier en fonction d’un système de projection, ou de toute autre transformation cartographique de position, conduit à l’hypothèse d’une dépendance de cette distance cartographique perçue à l’espacement des lieux, plus généralement au rôle joué par l’espace via l’implantation spatiale des lieux considérée (nous y reviendrons) dans la réalisation d’une carte de flux.

23Trois formes de distances sont, de fait, mobilisables dans la représentation de flux : la distance cartographique (Lij) que l’on perçoit sur la carte, par la forme de la ligne ; la distance géographique (Dij) généralement approximée par la distance euclidienne (le vol d’oiseau) et la distance empirique (Eij) liée au coût généralisé de transport. Leur mise en œuvre cartographique considère un espace géométrique dans son acception géographique, à savoir projeté et générant, de fait, une répartition généralement irrégulière des lieux. La représentation de leur mise en relation par l’existence d’un flux OD est celle de la ligne correspondant au vecteur : OD ; un objet mathématique défini par un sens, une direction et une norme. Les OD étant projetées, les longueurs des différents segments [OD] seront variables en fonction des espacements, par conséquent de l’une des trois formes de distances cartographiques perçues par ces longueurs de lignes variables.

24Considérer le rôle joué par l’introduction de la notion de distance dans la fabrique cartographique inscrit la réflexion dans un espace géographique, dans un territoire pratiqué, et non seulement dans un espace ou un plan quelconque. Cette posture illustre le passage d’une logique de flux à une logique de mouvement (Bahoken, 2016).

25L’espace géographique présente des contraintes spécifiques qui s’appliquent par définition aux déplacements : ces derniers diffèrent, en effet, selon le mode de transport sous-jacent (terrestre, aérien, maritime), associées à des contraintes sociales, économiques, financières, techniques, psychologiques, etc., et dont l’ensemble forme le coût généralisé de transport. Ce coût peut être pris en compte dans la modélisation cartographique, comme il l’est dans la modélisation numérique des flux.

26Les multiples variables qui composent le coût généralisé de transport conduisent à n’en retenir qu’une sélection. Pour ce qui est de l’espace géographique, il est généralement mobilisé lors d’approximations plus ou moins fortes selon les besoins de l’analyse géographique, généralement sous la forme d’une distance euclidienne, pour ne citer, à ce stade, que cet exemple. Cela se traduit sur la carte par la représentation logique d’une ligne droite, illustrant cette métrique du vol d’oiseau.

27La forme linéaire perçue sur la carte évoque la distance effectivement parcourue dans la réalité par le flux ainsi représenté. La vision euclidienne de la géographie étant directement traduite sur la cartographie des flux correspondants, la carte est, par conséquent, susceptible de varier en fonction de la manière dont différentes contraintes spatiales vont être considérées ou non dans la modélisation cartographique — de même qu’examiner différentes métriques traduisant l’espacement des OD enrichit les modèles numériques.

28Considérer la distance cartographique perçue implique de s’intéresser au dessin de la dimension de longueur du flux, au concept sous-jacent de sa mise en carte. La carte de flux va ainsi fondamentalement différer selon que le flux est matériel/immatériel, autrement dit, selon que son mode d’implantation spatiale est respectivement linéaire/biponctuel/aréal, tous deux en lien avec la forme de distance sous-jacente (voir figure 1).

Figure 1. La distance cartographique perçue d’un flux

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29L’approximation la plus usuelle des flux immatériels est la ligne droite associée à la métrique euclidienne pour illustrer le plus court chemin entre des OD. À l’inverse, celle des flux matériels, en implantation réelle ou approximée, est sinueuse pour suivre peu ou prou l’infrastructure de transport sous-jacente. Elle décrit également un plus court chemin appréhendé soit sur un réseau planaire (métrique réseau réelle), soit sur un réseau non planaire, mais soumis à des contraintes spatiales spécifiques (métrique empirique approximée), telles que le respect de l’alternance terres/mers au niveau mondial, par exemple. Ce plus court chemin n’est pas forcément la ligne droite, lorsque le déplacement est effectué sur un réseau de transport : la sinuosité de l’infrastructure et sa représentation sous la forme de ligne sinueuse traduisant le détour lié aux conditions générales de déplacements (L’Hostis, 2014). De fait, la représentation d’un flux sous la forme d’une ligne présente une longueur potentiellement variable, en fonction de la morphologie droite ou sinueuse de la ligne, laquelle dépend de la métrique sous-jacente, euclidienne ou empirique, elle-même relevant d’un type d’implantation spatiale (bi)ponctuel ou linéaire.

30Il est important de noter que la pondération de la ligne ou de la flèche (par l’application de la variable visuelle taille) n’est pas de nature à modifier la perception de la ligne simple symbolisant la distance parcourue, ce qui n’est pas le cas de la ligne pondérée (comme nous le verrons dans le paragraphe suivant : « Cartographier des flux mondiaux »).

La perception de la ligne de flux sur une carte

31Les expérimentations de J. Flannery (1956) visant à estimer sur une carte thématique la différence de perception des dimensions réelles des longueurs de lignes comparée à celles de l’aire (cercles en 2D) ou du volume (en 3D) de points proportionnels, ont montré que la longueur était la dimension la mieux perçue (voir figure 2).

Figure 2. Comparaison de l’efficacité perceptive de la ligne et du point proportionnel

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32D’après Flannery, quelle que soit sa longueur, la perception d’une ligne présentera toujours une « correspondance parfaite » entre sa taille réelle et sa taille perçue, ce qui n’est pas le cas de l’aire et encore moins du volume.

33Ce résultat n’est toutefois valable qu’à grande échelle et dans l’espace euclidien, là où la distance cartographique se confond peu ou prou avec le réseau de transport, c’est-à-dire avec la distance empirique. La grande échelle est, par ailleurs, celle qui autorise une expérience humaine individuelle en général, celle qui correspond d’ailleurs aux conditions locales de cette expérimentation perceptive.

  • 3 Le tracé d’une ligne suivant le plus court chemin sur la sphère correspond à l’arc de cercle qui li (...)

34Au-delà d’une impossibilité de l’expérience humaine à l’échelle globale, le résultat de Flannery ne saurait être valable au niveau mondial. La rotondité de la terre générant un effet de courbure des lignes, lorsqu’elles sont spatialisées dans l’espace euclidien en suivant une métrique orthodromique de plus court chemin sur la sphère, qui transforme les lignes en courbes et cela, quelle que soit la projection utilisée. Ces courbes sont plus ou moins déformées en fonction de leur longueur et cet « effet d’orthodromie » est ainsi d’autant plus visible que les lignes illustrent une très longue distance parcourue sur la sphère entre des OD très éloignées, typiquement vers des lieux antipodaux3 (voir figure 3).

Figure 3. Spatialisation de lignes de flux au niveau Monde — projection de Molleide Babinet — métrique orthodromique

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Sélection des 100 premières lignes aériennes, en termes de trafic de passagers.

35Cette spatialisation conduit aussi à des routes aberrantes : les lignes sont déformées à proximité des pôles, avant de se perdre aux confins — voire au nord, de même que les lignes États-Unis–Japon apparaissent discontinues sur la carte, révélant un « effet de jointure » imputable à la projection. Certaines projections cartographiques entraînent, en effet, l’interruption de lignes de flux s’exprimant à très longue distance, suggérant alors abusivement une interruption, voire une déviation du déplacement ; certaines routes apparaissent ne pas suivre le plus court chemin, c’est notamment le cas de celles qui partent du Brésil vers le Japon et qui font un large détour en survolant l’Europe par le nord, puis la Russie. Pour toutes ces raisons, dans l’espace euclidien, la correspondance entre la taille réelle et la taille perçue d’une ligne au niveau Monde, sans biais perceptif, n’est par conséquent pas acquise.

36Cette non-correspondance taille réelle/taille perçue d’une ligne sera d’autant plus importante que la ligne sera pondérée par une quantité. L’application de la variable visuelle taille entraînera, en effet, sa transformation en une bande, c’est-à-dire en un nouvel objet cartographique dont l’aire est mesurable et, par conséquent, perceptible sous la forme d’une tâche. Cette pondération entraîne un second biais de perception en soi puisque, d’après l’étude de Flannery déjà mentionnée, la correspondance entre la taille réelle et la taille perçue d’une aire est imparfaite (figure 2).

37La projection à l’échelle mondiale de ces lignes pondérées, en particulier lorsqu’elles s’expriment à très longue distance, induit un biais supplémentaire qui est, quant à lui, lié à la sphéricité terrestre. Ce dernier biais n’est pas le moindre puisqu’il relève de la géométrie des bandes. Le 5e postulat de la géométrie euclidienne rend en effet impossible le dessin d’un rectangle parfait à très longue distance sur une sphère ; il empêche de fait la spatialisation stricte d’un flux pondéré, car il arrivera toujours un moment où les parallèles se rejoindront, du côté où la sphéricité de la terre entraînera des angles plus petits, en particulier vers les pôles, les antipodes. Pour éviter de discuter cette question, nous limitons notre analyse à la perception d’une ligne ou d’une bande symbolisant des flux mondiaux à moyenne distance dans l’espace euclidien.

38Compte tenu de ces considérations, nous avançons une hypothèse générale quant à l’importance de la métrique associée à la distance cartographique perçue (euclidienne, réseau ou empirique) à moyenne distance, car elle conduit finalement à trois types de cartes de flux, à trois approches de leur modélisation, à trois manières de les cartographier (voir Figure 1).

39Cette perception de la distance sur une carte coïncide avec la notion de distance graphique introduite par Tobler (1969), avant d’être reprise par Müller (1979). C’est une construction mentale puisqu’elle est établie en référence à la métrique euclidienne qui ne correspond pas nécessairement à la réalité, ce qui a pour conséquences que la distance cartographique, telle qu’elle est mise en œuvre en cartographie de flux, renvoie à une information doublement généralisée parce que liée au choix de la distance euclidienne et à sa transcription linéaire.

40Tenir compte de cette distance cartographique perçue permet toutefois d’enrichir la fabrique formelle usuelle des cartes de flux et de mouvements, par conséquent leur interprétation qualitative pour une thématique donnée. Elle suggère une seconde hypothèse liée à un enrichissement de ces cartes qui pourraient résulter d’études plus poussées à mener sur la construction géométrique du flux, afin d’absorber les effets liés à leur spatialisation et de réduire l’écart taille réelle/perçue de l’information cartographiée — études nécessairement réalisées avec des spécialistes des sciences cognitives. « C’est au dessin de la flèche qu’on reconnait le bon dessinateur, celui qui a conscience d’apporter une réponse visuelle à tous les niveaux de lecture » disait Bertin en 1973, son dessin seul est généralement insuffisant pour assurer la communication efficace du message cartographié par des flux, en particulier au niveau Monde.

Cartographier des flux mondiaux

41Nous mobilisons un jeu de données décrivant le transport international mondialisé d’une sélection de flux de conteneurs focalisés sur l’Asie. L’objectif est de réaliser une forme de « multireprésentation cartographique » (Zanin et Lambert, 2012) appliquée à des données de flux. Cette collection de cartes est réalisée à partir des mêmes données statistiques et géographiques à des fins de comparaison d’ordre méthodologique ; il s’agit d’examiner la variation de leurs motifs en fonction de la manière dont la carte est conçue. Les choix théoriques et méthodologiques réalisés par le ou la cartographe influent, en effet, fortement sur la forme perçue du flux ainsi que sur sa signification dans un cadre thématique, compte tenu du contexte de réalisation et de réception de la carte. Aussi l’attention est-elle portée sur le rôle de la distance cartographique dans l’interprétation de différentes cartes thématiques de flux mondiaux conteneurisés.

Présentation de l’information

42À l’échelle mondiale, le transport maritime de conteneurs est dominé par de nombreux ports asiatiques. Pour éviter de gérer la complexité graphique qui résulte du dessin de flux s’exprimant entre plus d’une dizaine de lieux, nous restreignons notre propos aux flux asiatiques qui en concentrent une partie importante. Les données sont issues de différents tableaux du fichier Containerisation international précédemment mobilisé dans Frémont et Fremont-Vanacore (2014) ; elles forment une petite matrice origine-destination qui va illustrer notre démonstration (figure 4).

Figure 4. Données décrivant des flux maritimes asiatiques

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Millions de containers, en équivalent 20 pieds (EVP).

Source : Containerisation international, différents numéros de 2011 et de 2014

43Cette matrice s’exprime entre l’Asie et le reste du monde, selon un découpage géographique en grandes zones qui résulte de l’importance de ces flux. Elle est asymétrique et décrit des échanges bilatéraux entre de grands ensembles économiques : des façades portuaires. Les besoins de la démonstration nous conduisent à raisonner à très petite échelle, en agrégeant les ports asiatiques en deux groupes : ceux de l’Asie de l’Est, de l’Asie du Nord Est et de l’Asie du Sud Est et ceux des autres ports, regroupés suivant les façades maritimes suivantes : Amérique du Nord, l’Europe du Nord, la Méditerranée, la côte Est, l’Amérique du Sud, la côte Ouest Afrique.

44Ce découpage du Monde n’est donc pas une partition a priori, mais l’expression cartographique de la position des principales façades identifiées par des experts de ce transport. La grille de lecture géographique n’est, volontairement, pas celle des acteurs politiques. De même que la lecture géographique proposée est celle d’un monde en réseau et non choroplèthe, décrivant la polarisation sur longue distance du transport maritime par des flux centrés sur l’Asie.

45Le choix du niveau Monde s’inscrit dans un raisonnement cartographique qui va générer plusieurs visions du monde et, de ce fait, influer sur le choix de la projection qui serait la mieux adaptée au processus à représenter. La carte focalise, en effet, toujours le regard sur un territoire plus ou moins bien délimité, à une échelle donnée. Considérer un « territoire-Monde » de ces flux est donc une approche qui devrait « être privilégiée […], comme espace et comme objet de représentation » (Didelon-Loiseau, 2013, p. 22).

46Cette posture nous confronte à des problèmes spécifiques à l’échelle mondiale. Le premier d’entre eux concerne la modélisation cartographique du Monde : doit-elle relever de la sphère — pour conduire à des représentations sous la forme de globe — ou du planisphère qui va induire une vision de l’espace en deux dimensions ? Dans le second cas (le seul qui sera examiné ici), il s’agit ensuite du choix du système de projection cartographique permettant le passage de la sphère au plan ; il va être considéré comme une variable de la construction cartographique permettant de confronter différentes versions de la même carte pour en comparer leurs motifs de flux respectifs.

47Pour faciliter cette comparaison, la conception d’ensemble est identique pour l’ensemble des cartes : leur légende est commune et les échanges sont symbolisés par des flèches pondérées par la quantité de containers. Ces flèches présentent toutes une direction liée aux positions respectives des OD, dans le système de projection considéré. Elles illustrent un sens de circulation des navires portes-containers depuis, vers ou entre les façades asiatiques qui conduit à leur coloration, respectivement rouge ou orange. Ces flèches sont, par ailleurs, normées en kilomètres.

48Les questions liées à la disposition des flèches en elles-mêmes, bien que participant de la conception d’ensemble de ces cartes, ne seront pas évoquées. Les lieux impliqués, à savoir les façades maritimes, présentent une forme linéaire, exceptionnellement ponctuelle pour les besoins de la première image de ces flux. Enfin, l’effet de ces flux du point de vue des lieux d’origine et/ou de destination ne sera pas examiné.

Approche (carto)graphique de la représentation flux maritimes

49L’approche proposée est (carto)graphique au sens où elle s’inscrit dans le champ général de la visualisation graphique de données consistant à transformer des nombres en signes visuels pour mieux les appréhender. Ces données étant bilocalisées, les signes correspondants vont être projetés dans un espace géographique, la représentation proposée va être soumise aux contraintes de localisation des signes dans un système de projection cartographique ; cette contrainte de position étant une composante forte de la représentation qui induit le choix d’un modèle graphique particulier, celui de la carte de flux — pouvant être aussi qualifiée de graphe de flux spatialisé.

50Le premier document de cette série (carto)graphique propose deux graphiques en vis-à-vis pour co-visualiser ces échanges mondiaux conteneurisés. Il s’agit de deux diagrammes liens-nœuds, c’est-à-dire de graphes de flux où les nœuds représentent les façades appréhendées par des régions économiques et les liens pondérés et orientés leurs échanges. Ces deux graphes sont caractérisés par l’absence de maillage territorial apparent ; la géographie est toutefois évoquée par la mention de toponymes.

51Leurs présentations sur un plan en deux dimensions caractérisent une forme de spatialisation qui diffère conceptuellement, car elle n’est pas nécessairement géographique : elle est circulaire sur le graphe de gauche et géographique sur celui de droite, les nœuds étant placés dans la projection cartographique de Mollweide (figure 5).

Figure 5. (Carto)graphie de flux mondiaux de marchandises — projection de Mollweide

Différents types de flux géographie

52De fait, le document de gauche est un graphe de flux ordinaire, circulaire, car il ne présente pas de contrainte géographique de position des nœuds, tandis que celui de droite est un graphe de flux de type carte de flux. Sur cette carte, les positions relatives des lieux les uns par rapport aux autres sont donc absolues dans le système de projection considéré et les espacements entre les OD ne peuvent être modifiés sans le recours à une méthode de transformation cartographique agissant sur les positions des lieux (changement de projection, anamorphose, régression bidimensionnelle etc.).

53Sur le graphe de gauche, les OD sont, en effet, positionnées dans le plan selon une contrainte de placement circulaire, usuelle pour la représentation de ces données. Ce positionnement répond à l’objectif de concentrer l’attention sur la région économique polarisant ces flux, en la mettant au centre de la figure, celles de destinations étant reléguées en périphérie. L’idée est ici de renforcer l’effet de convergence/divergence, de polarisation d’une région sud-est asiatique dans ce système global d’échanges conteneurisés. Pour conforter ce message, les régions de destination (qui auraient été placées au centre d’une carte) sont périphériques ; elles sont, par ailleurs, ordonnées en fonction de leur sens (émission et réception) et de leur capacité d’attraction, appréhendée par la taille (largeur) des flèches. La position des lieux étant ainsi déterminée sur les deux graphes, les mêmes flèches sont placées depuis l’Asie du Sud-est vers les grandes régions macro-économiques, en tenant compte de l’effet de convergence/divergence mentionné.

54Des éléments d’habillage supplémentaire (ajout de labels, d’une flèche nord et mention de la projection des points) ont été rajoutés sur le graphe de droite de façon à ce que le lecteur comprenne qu’il s’agit d’une carte thématique classique à laquelle a simplement été ôté le fond de carte, pour les besoins de la démonstration ; ce dernier est réintroduit dans la figure suivante.

55Les deux graphes de la figure 5 sont exacts d’un point de vue méthodologique, au sens où ils respectent les principes théoriques de la (carto)graphie de données de flux, réalisée selon une logique de flux. Ces images sont toutes deux pertinentes : la représentation d’échanges mondiaux sous la forme de graphes de flux étant cohérente, puisque l’espace des positions des lieux n’est pas pris en compte dans sa fabrication. Représenter des flux sous la forme de graphes ne pose pas de problèmes en soi, l’important étant que la figure soit lisible et claire, qu’elle soit signifiante. Plusieurs types de graphes peuvent d’ailleurs être mobilisés à des fins d’analyse complémentaires en fonction du processus que l’on souhaite montrer. Ainsi, le graphe de gauche apporte une vision structurelle, morphologique de la géographie de ces échanges, tandis que celui de droite en apporte une vision purement géographique.

56Cette pertinence du graphe pour représenter la structure d’échanges mondialisés fragilise indéniablement la position de la carte de flux, en particulier dans le cadre d’analyse des interrelations entre des acteurs localisés. Elle justifie la posture de certains théoriciens tels O’Brien (1992) et Friedman (2005) qui, profitant de la situation, considèrent l’espace sans relief pour mieux prophétiser la mort de la géographie. Et pourtant, la mondialisation est bien un phénomène ancré dans un espace géographique, une démonstration du rôle joué par l’espacement des lieux signe plutôt « la fin de la mort de la géographie » (Grasland, 2018). Aussi est-il nécessaire de l’introduire dans les représentations du monde par les flux et pour cela.

Composante géographique de la représentation de flux

57Pour montrer le rôle de la géographie dans la représentation de flux, commentons les deux images de la figure 5, à commencer par celle de gauche.

58La forme circulaire du graphe organisé autour de l’Asie du Sud-est renforce la position centrale de cette région dans la structuration du système d’échanges. Ces échanges étant appréhendés telles des « relations » économiques commerciales entre des acteurs géographiques, leur graphisme prend la forme d’une ligne droite pondérée et orientée, ce qui signe littéralement que la relation présente une valeur. Tous les liens qui partent et arrivent du centre présentent la même longueur, seules leur largeur et leur couleur varient.

59Cette expression graphique ne considère pas le rôle de la géographie, plus généralement de l’espace, dans la représentation de ces flux. L’espace, qui est une variable d’ajustement forte de ces échanges, n’intervient donc pas dans la construction graphique du flux. Et pourtant, plusieurs modalités de sa prise en compte dans l’élaboration d’une carte de flux mondiaux sont envisageables, parmi lesquelles les suivantes :

601) les contours terrestres ont une importance dans la compréhension des échanges dont il est question, en l’occurrence pour le transport maritime versus terrestre — c’est l’alternance terres/mers qui conduit à un « effet d’itinéraire » à considérer ;

612) la circulation concerne aussi le mode de transport concerné, en lien avec cet « effet d’itinéraire ». La représentation du déplacement sera ainsi d’autant plus sensible que la distance à parcourir et la sinuosité du cheminement seront importantes, au point que certains déplacements orientés seront soumis une « inversion spatiale » (L’Hostis, 2014), au fait qu’il faille d’abord revenir sur ses pas avant de pouvoir avancer ;

623) la circulation terrestre est plus ou moins facilitée en fonction des types d’espaces traversés, en raison de leur plus ou moins grande rugosité : on circule mieux en ligne droite dans une plaine de la Beauce que sur une route en pente ou sur une épingle de montagne ;

634) les difficultés de circulation concernent la topographie, mais aussi l’espacement des lieux, leurs positions relatives qui déterminent a minima la longueur du déplacement réalisé. En écho au principe de continuité spatiale, il convient d’assurer la continuité cartographique des flux à représenter en choisissant une projection adaptée aux données — c’est « l’effet de jointure ».

64La non-prise en compte de l’espace dans le graphe de gauche de la figure 5 réside, en premier lieu, dans le placement circulaire des lieux qui induit des lignes de longueur identique, comme si la distance parcourue dans la réalité par tous ces liens était identique. Le graphe de droite réintroduit la géographie des lieux, grâce à l’application d’une projection cartographique qui force les positions des lieux.

65Ce changement d’espace des positions présente plusieurs conséquences. La première est théorique et conceptuelle, car elle modifie le statut de ce diagramme lien-nœud pour le transformer en carte de flux. L’attention est attirée sur le fait qu’en matière de flux, cette modification est conceptuelle. Cette transformation, qui dépasse l’ordre de la variante graphique, est l’un des enjeux de cette représentation qui réintroduit la géographie - bien que la carte de droite ne présente pas de fond de carte pour l’habillage (pour faciliter la démonstration, comme mentionné précédemment).

66La seconde conséquence est d’ordre cartographique. Le changement de position engendre de nouveaux motifs qui découlent directement de l’introduction de la géographie : certains lieux étant désormais plus éloignés du centre que d’autres ; ce qui entraîne un changement de la longueur des lignes (les largeurs étant restées identiques).

67Cette perception variée de la longueur des lignes, parce qu’elle correspond à la distance cartographique perçue, s’interprète sur le plan thématique comme une modification de la distance parcourue entre les OD, dit autrement, comme un allongement de la route des navires. Le changement d’espace d’expression de ces échanges conduit donc à une modification fondamentale de ces flux, elle souligne le rôle de l’espace géographique dans la perception de ces échanges, a fortiori de leur interprétation.

68Sur le plan cartographique, le rôle des positions des lieux est d’autant plus important qu’il définit aussi leur type d’implantation spatiale, leurs proximités ou leurs éloignements qui vont servir de variables d’ajustement des pondérations des liens par les valeurs de flux, lorsque la géographie est considérée. L’implantation spatiale, parce qu’elle donne le cadre géométrique du plan et définit les composantes de l’image va pouvoir servir de support à la représentation (voir figure 1). Cette implantation sera ainsi d’autant plus importante qu’elle va conduire à identifier, pour un même jeu de données statistiques qui s’exprime dans un même espace géographique, deux paradigmes théoriques et donc les deux grands modes d’implantation spatiale : l’un dédié aux interrelations représentées par un graphe en implantation ponctuelle bipolaire pour décrire des relations, des échanges, des flux, etc., et l’autre, dédié aux interrelations planaires, en implantation linéaire pour caractériser des mouvements.

Variations autour d’une cartographie de flux et mouvements mondiaux

69Ces deux paradigmes sont aussi autant de cadres théoriques mobilisables pour une représentation dédiée à l’analyse morphologique ou géographique de ces flux, leurs graphies diffèrent en réalité en fonction de la manière dont ils mobilisent la variable espace dans le processus cartographique.

70Pour examiner cette hypothèse, réintroduisons l’espace géographique dans la représentation de ces flux. Ce dernier interviendra finalement quatre fois dans les cartes qui vont suivre : comme élément d’habillage en vue d’une contextualisation géographique ; en tant que variable spatiale ; comme mode d’implantation spatiale et comme forme de modélisation cartographique.

Cartographie de flux maritimes

71Rappelons que l’espace intervient dans cette cartographie par le biais de la perception de la distance parcourue, via l’implantation spatiale de ces mêmes flux, ce qui pose notre hypothèse principale du caractère fondamental de la géographie des lieux, dans l’analyse cartographique de ces échanges.

72Pour la valider, nous réintroduisons l’espace dans la carte précédente, d’abord comme composante de l’habillage. La figure 6 présente un second document composé de trois cartes à appréhender comme des variantes de la figure 5. La différence est qu’elles sont munies d’un maillage territorial des états du monde et présentées selon trois projections cartographiques principales. Leur choix tient aux faits qu’elles n’entraînent pas de discontinuité spatiale dans l’expression cartographique de ces flux, et qu’elles sont suffisamment différentes pour assurer la variété de la collection. Les principes de conception générale restent inchangés.

Figure 6a. Cartographies de flux mondiaux de marchandises. Projection de Mollweide — métrique euclidienne

Différents types de flux géographie

Figure 6b. Cartographies de flux mondiaux de marchandises. Projection de Buckminter Füller — métrique euclidienne

Différents types de flux géographie

Figure 6c. Cartographies de flux mondiaux de marchandises. Projection polaire — métrique euclidienne

Différents types de flux géographie

73Ces trois images, furent-elles exactes sur le plan méthodologique, sont également erronées sur le plan thématique, pour les raisons énoncées précédemment, « l’effet d’itinéraire » n’étant pas pris en compte. Le changement de système de projection ne permet pas d’aboutir à une meilleure image, car le problème qui se pose est d’ordre théorique avant d’être thématique (le changement de projection apportant effectivement différentes visions du monde de ces flux). Il ne pourrait en être autrement puisque la trajectoire de ces navires n’est, a priori, pas connue simultanément aux données.

74Pour améliorer cette situation, il est possible, par exemple, de changer l’orientation de la carte pour donner une impression de main mise de l’Asie du Sud-est sur les pays avec lesquels elle échange. Cette éventualité conduisant, en pratique, à reprojeter les données, elle ne va pas être mise en œuvre. Plutôt qu’un changement de projection, examinons plutôt l’effet d’un changement de style des figurés (ligne/flèche).

Variation cartographique de flux maritimes

75L’information sur la trajectoire empruntée par les navires n’étant pas présente dans les données mobilisées, elle n’intervient pas dans la définition du flux. Cette situation justifie la linéarité du tracé des flèches tracées entre des OD, en analogie avec le vol d’oiseau. Cette référence à un déplacement dont le cheminement inconnu est approximé par une ligne droite conduit à une représentation non satisfaisante, car elle est en conflit avec le mode de transport sous-jacent.

  • 4 Le résultat obtenu est identique, quel que soit le type de courbe ou de mise en forme appliquée à l (...)
  • 5 La morphologie de la ligne est un critère important qui permet de distinguer la représentation de f (...)

76Pour y remédier, les cartographes utilisent des artifices graphiques qui conduisent souvent à modifier le style du document. Il s’agit, en particulier, d’appliquer une variable visuelle qualitative de forme4, qui va, par exemple, transformer la ligne pleine en une suite de tirets, ou bien potentiellement agir sur la morphologie5 de cette ligne, en l’occurrence sur sa géométrie pour la transformer en courbe (figure 7).

Figure 7. La morphologie cartographique de la ligne de flux

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77Cette éventualité d’action sur la forme des lignes de flux est très populaire : plusieurs formes de courbes sont d’ailleurs disponibles dans les bibliothèques graphiques et leur mise en œuvre est facilement automatisable. Le résultat procure une amélioration esthétique indéniable, en même temps que les motifs donnent l’illusion d’un mouvement : la perception d’une courbe évoquant davantage la dynamique de mouvements que la ligne droite (figure 8).

Figure 8. Cartographie stylisée de flux mondiaux de marchandises — Projection de Mollweide — métrique euclidienne avec variation de forme et morphologie de la ligne

Différents types de flux géographie

78Cependant, cette amélioration esthétique apportée par des flux curvilignes est-elle suffisante ?

79Si l’image apparaît plus douce, force est de constater qu’elle augmente la surface visuelle des figurés, signifiant alors que l’information a été modifiée entre les deux figures.

80Le fait que le tracé d’une ligne courbe entre deux points soit plus long que celui d’une ligne droite insinue que la distance parcourue par ces flux (telle que perçue sur la carte) est plus grande, par conséquent, que les tonnages transportés ont franchi une distance plus importante. Cela n’étant pas le cas, cette éventualité soulève un problème de fond.

81En effet, si la surface visuelle perçue de ces flèches augmente (voir supra « La distance cartographique perçue »), cela devrait traduire le fait que les flux sous-jacents s’expriment sur une portion d’espace géographique plus grande, ce qui n’est pas le cas. Aussi, que les distances parcourues sont plus importantes. Sans faire de tests perceptifs compliqués, on visualise assez facilement les différences de taille des flèches entre les différentes cartes de la figure 6 et de la figure 8, alors que les valeurs sous-jacentes sont identiques.

82L’amélioration esthétique qui consiste à styliser les flux pour les rendre plus harmonieux présente par conséquent un effet pervers : celui de déformer l’information de flux représentée, le message reçu lors de la perception de la distance cartographique. En effet, sur le plan thématique, ce dessin courbe d’un flux OD travesti l’information transmise à l’observateur, car il introduit arbitrairement des éléments dans la formation de ce transport.

83La transformation d’une ligne droite en courbe de Bézier passe, en effet, par l’introduction de points supplémentaires — des points de contrôle — à son tracé initialement ancré sur un bipoint (figure 9).

Figure 9. Illustration de la transformation d’une ligne en courbe de Bézier

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84Les points intermédiaires qui structurent la ligne OD devraient correspondre à des temps d’arrêt du voyage, à des escales portuaires pour réaliser des opérations de transport (chargement/déchargement), mais ces dernières n’existent pas dans la réalité, ou l’information nous est inconnue. L’introduction arbitraire de points à un tracé pour améliorer son esthétique conduit donc à une modification de l’organisation générale du transport : une augmentation du nombre d’escales, de lieux de transit, finalement de la longueur du voyage réalisé dans la réalité, ce qui a pour conséquence une augmentation du coût du déplacement, du temps de transport et aussi de la valeur monétaire des biens transportés, de l’énergie dépensée, du bilan carbone consommé, de la quantité de polluants émise et ainsi de suite.

  • 6 Des investigations réalisées avec des algorithmes de fusion graphique des liens (de type edge bundl (...)

85De plus, dans le cadre d’analyse de ces flux maritimes mondiaux, l’amélioration du design graphique du flux, si elle conduit à une image agréable à regarder, ne permet pas d’améliorer qualitativement la connaissance géographique de ces mouvements. Cette possibilité esthétique ne saurait, d’ailleurs, être mobilisée pour améliorer visuellement la représentation d’un phénomène pour lequel le rôle de l’espace maritime est prégnant. La voie graphique d’expression d’un mouvement ne s’appliquant qu’au dessin d’un flux et non d’un mouvement des transports, quels que soient l’échelle et l’algorithme6 de dessin utilisé.

86Ainsi, en l’absence de connaissance sur les trajectoires de ces navires, l’hypothèse d’une simulation du mouvement, par une action exclusivement (carto)graphique, n’est pas (totalement) validée. Elle produit un effet pervers en modifiant l’information de départ, l’interprétation du phénomène.

87Une autre éventualité est dès lors possible pour représenter ces mouvements avec style, dans une perspective cartographique : elle consiste à contraindre l’expression des tracés dans l’espace maritime, à contourner les terres en fonction de connaissances empiriques.

88Sachant que l’essentiel des échanges commerciaux réalisés entre l’Asie et l’Europe passe par le détroit de Malacca, par exemple, contraindre les flux à emprunter cette voie permettrait de réconcilier leur expression cartographique avec une réalité du monde du transport maritime. Dans les cartographies issues de données d’identification automatique des navires (Automatic Identification System - AIS) que l’on peut géovisualiser en temps réel sur des sites tels Shipmap (https://www.shipmap.org/​), on voit, en effet, très précisément les positions des navires ainsi que les routes maritimes empruntées (voir figure 10).

Figure 10. Géovisualisation de la densité de la circulation maritime mondiale

Différents types de flux géographie

Source : https://www.shipmap.org/​

  • 7 La base de données Navires de la Lloyd’s fournit des informations permettant d’identifier et de car (...)

89Cependant, ces lignes à l’épaisseur identique ne signifient rien en termes de volumes ou de valeurs transportés, tant qu’elles ne font pas l’objet d’un appariement avec d’autres données pour les enrichir, celles de la base Navires7 de l’IHS Markit Lloyd’s Fairplay, par exemple. Si ces cartes sont intéressantes en raison de la densité d’information mobilisée, elles renseignent aussi sur la fréquence des lignes, éventuellement selon des types de navires ; elles n’informent pas sur le transport réalisé en lui-même. Ce que l’on ne sait pas, c’est bien qui transporte quoi précisément. Sachant qui transporte quoi, il est cependant possible d’estimer ces trajectoires de manière approximative (l’inverse n’étant pas vrai).

Cartographie de mouvements maritimes approximés

90Pour réconcilier la cartographie avec la représentation des flux mondiaux et, en particulier, les échanges maritimes, il « suffit » d’intégrer a minima l’effet d’itinéraire à la représentation. Cette éventualité conduit à un changement de raisonnement, à l’adoption d’une logique de mouvements.

91Trois grandes familles de possibilités sont, en effet, mobilisables pour cartographier un mouvement. Elles diffèrent selon qu’elles s’inscrivent i) dans une approche géographique, visant à modifier l’information géographique sous-jacente (le fond de carte) qui servira de support à la spatialisation des flux — un exemple d’application est proposé dans Bahoken, Lagesse, Ducruet (2016) ; ii) dans une approche numérique, statistique ou mathématique fondée sur la modélisation ou la transformation de l’information à représenter, en la pondérant ou non à l’aide de variables spatiales ; iii) dans une approche graphique, agissant sur la géométrie perçue des signes illustrant les flux, leur sémiologie.

92Quelle que soit l’approche, la cartographie des mouvements qui en résulte n’est qu’approximative, à défaut de pouvoir retranscrire exactement le cheminement effectué dans la réalité. On notera qu’il est plus facile d’estimer la trajectoire de navires dont on connaît les quantités plutôt que d’estimer les quantités à partir d’une collection de trajectoires précises.

93La figure 11 est construite selon une logique de mouvement approximée mise en œuvre dans une approche graphique. Les possibles routes maritimes qui induisent la sinuosité de la ligne sont introduites dans la représentation pour une comparaison avec la figure 6. Les lignes pondérées illustrent ainsi une estimation — réalisée à partir de dires d’experts — de la circulation des navires transportant ces conteneurs.

Figure 11. Cartographie de mouvements mondiaux estimés de marchandises : projection de Mollweide — métrique empirique approximée

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94Les cartes de la figure 11 reconstituent les routes selon le procédé distributif mis au point par Minard dans son Système de cartes figuratives. La perception de la distance cartographique par ce procédé distributif est, probablement, celle qui traduit le mieux la distance effectivement parcourue par ces navires dans la réalité, par une évocation directe des mouvements maritimes. Les principaux mouvements de conteneurs d’origine asiatique empruntent, en effet, majoritairement le couloir « Suez — mer Rouge » avant de se scinder en de multiples branches pour une desserte de l’espace euro-méditerranéen.

95Si la figure 11 apporte une amélioration qualitative par rapport aux figures précédentes, en respectant l’effet d’itinéraire de ces flux, la projection à retenir pour les représenter n’est probablement pas la Mollweide (figure 11). La transformation des figurés linéaires en figurés sinueux entraîne, une fois de plus, la manifestation de « l’effet de jointure », accompagné d’un problème de centrage de la vue, ici sur l’Europe, qui ne saurait être résolu sans un changement de la projection cartographique. En effet, la ligne de flux qui est désormais une variable de l’image est fixe, puisqu’elle suit approximativement la route maritime. Sa morphologie ne pouvant être modifiée pour améliorer la carte, on observe une discontinuité cartographique (qui évoque plus généralement le problème de continuité spatiale) qui se répercute sur le rendu graphique et sur l’interprétation des mouvements représentés.

96Cette discontinuité tient à ce qu’une partie des routes est contrainte de passer derrière la carte, ce qui a pour conséquence de donner l’impression de l’interruption d’une partie des flux provenant d’Asie, comme si la route empruntée par les navires était suspendue. Cette lecture transmet alors l’information selon laquelle il n’y aurait pas d’échanges entre l’Asie orientale et l’Amérique du Nord, les flèches correspondantes étant reléguées en position périphérique avant d’être masquées dans cette projection.

97La solution qui consiste à changer le centrage de la carte en conservant la même projection n’a pas apporté d’amélioration qualitative notable. Seul un changement de l’aspect de la projection permet d’améliorer, de notre point de vue, la représentation de ces mouvements de marchandises, d’où la proposition d’une vision polaire de ces mêmes flux (figure 12).

Figure 12. Cartographie de mouvements mondiaux estimés de marchandises : projection polaire — métrique empirique approximée

Différents types de flux géographie

98La projection polaire autorise une représentation des flux qui respecte leur continuité territoriale, annihilant l’effet de jointure, y compris pour des mouvements maritimes s’exprimant à très longue distance. Malgré son efficacité, elle demeure encore peu mobilisée pour représenter des échanges mondialisés, probablement en raison de difficultés techniques liées à sa mise en œuvre. De même que ce procédé distributif n’est pas, à notre connaissance, implémenté dans les outils usuels de cartographie. Quand bien même il le serait, l’absence d’informations sur les points intermédiaires de la trajectoire, comme dans notre exemple, complique par ailleurs la tâche.

Conclusion

99La transcription graphique d’une géographie des flux suppose différents choix quant à la manière de les représenter lorsqu’ils sont observés au niveau Monde ; elle varie en fonction de la thématique de la carte qui induit de considérer différents enjeux pour une représentation cohérente de l’information.

100Dans le cas de la mondialisation économique appréhendée ici par la circulation de conteneurs, le mode de transport maritime sous-jacent ajoute une contrainte forte qui est liée à la prise en compte de la géographie des espaces traversés. L’effet d’alternance terres/mers impose, en effet, leur spatialisation dans l’espace maritime, ce qui suppose de considérer l’effet d’itinéraire. La représentation de ces flux maritimes mondiaux est finalement liée à la notion de distance cartographique perçue, laquelle impose la prise en compte des routes maritimes (réelles ou approximées) dans la construction cartographique.

101Plus généralement, la cartographie de phénomènes mondialisés par des flux mobilise l’information géographique — qui ne sert traditionnellement que de support à la représentation, de manière probablement plus importante que pour d’autres phénomènes. En effet, il ne s’agit plus seulement de projeter l’information statistique sur un fond de carte, où l’implantation spatiale définie en amont importe peu, mais d’intégrer le choix de l’espace support (maritime ou terrestre en l’occurrence) dans l’élaboration de la carte.

102Les représentations de ces flux qui apparaissent les moins efficaces sont celles qui s’accommodent mal avec l’espace géographique, en le niant ou en le surestimant, en proposant une vision exagérée de la « distance cartographique » pour styliser la carte. Si la représentation de flux sous la forme de ligne courbe est plus esthétique, elle est dans le même temps moins signifiante puisqu’elle communique une information erronée — dans le cas où l’objectif de la carte est de communiquer une information scientifique. Aussi, à défaut de pouvoir représenter correctement les routes, il est préférable de sous-estimer le rôle de l’espace géographique en recourant de se limiter à la métrique euclidienne dans une projection adéquate à l’échelon représenté.

103Cela étant, si la cartographie de la mondialisation par des flux/mouvements n’est pas une question récente, il convient de garder en mémoire que la lecture thématique d’une carte de flux doit toujours être replacée dans le contexte de sa réalisation, indépendamment de la méthode qui est, elle, invariante.

  • 8 Un exemple de planche est accessible par ce lien : https ://www.fulltable.com/vts/f/fortune/MAPS/gg (...)

104C’est ainsi que la cartographie du transport maritime mondial a pu varier et variera encore selon les époques et le contexte politico-économique du moment. Pour preuve, les cartes des mouvements maritimes historiques publiées par le Fortune magazine dans les années 1940 avaient d’abord pour objectif de montrer la position des acteurs dominants, en l’occurrence celle des puissances américaine et britannique au niveau mondial. Cet objectif était si prégnant que certains cartographes, tels Edes Harrison, ont pu qualifier ces problèmes d’ordres méthodologiques liés à l’alternance terres/mers du nom des puissances concernées, et évoquer le problème américain8.

105Ce problème, déjà ancien, n’est hélas pas prêt d’être résolu et la représentation de ces flux maritimes ne pourra être stabilisée de sitôt. Pour illustrer cette dernière hypothèse, prospectons sur ce que serait la situation du transport maritime au XXIIe siècle. Supposons que l’arctique soit en 2100 libre de glace, et cela toute l’année. La validation de cette hypothèse, avancée en lien avec le réchauffement climatique et l’éventualité de l’ouverture d’une route maritime commerciale du nord, devrait alors indéniablement changer la configuration spatiale de la circulation des marchandises. Supposons également que les grands armateurs utilisent désormais cette route des pôles pour relier l’Europe du Nord à l’Asie orientale. Quels en seraient les motifs cartographiques ?

106Cartographier ce scénario prospectif selon le procédé distributif (figure 11) changerait considérablement la perception de l’information sur cette circulation maritime. En effet, pour gagner de l’ordre de 6 000 km sur la totalité du parcours, des navires qui partiraient, par exemple,de Hong-Kong, remonteraient vers le nord pour suivre la côte russe, dans l’objectif de rejoindre l’Europe occidentale, en réduisant ainsi leur distance parcourue.

107Enfin, les problèmes de cartographie de phénomènes mondialisés par des flux soulèvent également des questions éthiques qui ne sont pas spécifiques aux flux commerciaux. La représentation de mouvements mondiaux plutôt que de flux interroge l’impact de ces images de la mondialisation sur la mise en œuvre d’actions politiques visant à favoriser ou non leur expression dans la réalité, visant à représenter les contraintes ou les facilités de circulation de biens, ou de personnes, en raison du pouvoir performatif de la carte.

108Dans le cas d’échanges commerciaux examinés indépendamment du mode de transport, la cartographie de flux versus de mouvements de biens conduit à un arbitrage sur la finalité d’une représentation des routes empruntées par ces biens présentant une valeur monétaire ; ces routes correspondant au type de financement des marchandises dont il est question. Cet arbitrage peut se révéler délicat, car il peut conduire, en fonction du type de biens, à mettre en évidence le trajet emprunté par certains mouvements financiers dont on pourrait bien se rendre compte qu’ils ne sont pas nécessairement (il)légaux, ou bien qu’ils ne suivent pas le trajet le plus (in)direct qui existe entre deux positions géographiques. « D’une certaine manière, analyser la régionalisation depuis la mer renvoie à la géopolitique des mers et des océans, celle du contrôle des routes et du commerce ou du déploiement de la force militaire » (Marei, 2018, p. 193).

109De la même façon, il est possible de s’interroger sur la nécessité de représenter des mouvements migratoires à la place de flux de populations étrangères devant conduire à identifier le trajet qu’elles ont emprunté depuis leur pays d’origine, à visualiser les routes préférentielles suivies dans des conditions dont on sait qu’elles ne sont pas forcément humaines, ni (il)légales, compte tenu des entraves à la liberté de circulation de certaines d’entre elles.

Qu'est

On appelle flux l'écoulement, le transfert, d'une certaine quantité de personnes, de véhicules, d'informations, de marchandises, transportés par un moyen de communication, par le biais d'un réseau. La différenciation spatiale engendre nécessairement des flux entre des espaces complémentaires.

Quels sont les principaux flux mondiaux ?

Les flux les plus importants relient les trois pôles de l'économie mondiale : l'Europe occidentale, les États-Unis, le Japon auxquels sont parfois ajoutés les Nouveaux pays industrialisés d'Asie orientale (NPIA) pour former ce que l'on appelle la Triade. La Triade représente à elle seule 90 % des échanges mondiaux.

C'est quoi un flux majeur ?

Le flux majeur (largest flow) est défini, pour chaque sommet, comme le lien le plus fort (en valeur) dirigé vers un autre sommet. Il s'agit d'une simplification importante qui ne garde qu'un lien par nœud et engendre une perte d'information non négligeable.

Quels sont les flux immatériels ?

Flux immatériels : Enfin, les flux concernent aussi des données immatérielles : les capitaux (IDE), les services marchands (un cinquième de la valeur du commerce international), les idées et des informations, qui, grâce aux technologies de communication peuvent s'échanger quasiment en temps réel, à l'échelle planétaire ...